lundi 20 juin 2016

Les bases de la puissance aérienne 1909-2012


Les études et ouvrages ayant pour objet central les bases aériennes sont plutôt rares, voire exceptionnels dans la littérature aéronautique. Chercheurs - et éditeurs - leur préfèrent souvent des monographies d'appareils ou des historiques d'unités, sujets sans doute plus "vendeurs".

Si certains historiens locaux ont bien, depuis quelques années, commencé à traiter de l'histoire aéronautique par le prisme d'une base aérienne en particulier, ou d'un ensemble de bases, une approche géographique générale de l'implantation des terrains d'aviation militaires en France et dans le monde est tout à fait inédite.
La géographie étant indissociable de l'histoire, tenter cette approche géographique globale de l'implantation des bases aériennes, sur une période de plus d'un siècle - de 1909 à 2012 - se révèle, de plus, une véritable gageure. Durant ce grand siècle, le seul exemple français montre bien à quel point la géographie politique a changé (avec le morcellement de l'Empire français au gré des guerres d'Indochine et d'Algérie notamment), compliquant une telle étude. C'est pourtant le pari relevé par Mickaël Aubout. Militaire dans l'armée de l'air (capitaine lors de sa soutenance), il en a fait l'objet d'une thèse de doctorat centrée sur les bases aériennes françaises, et soutenue en 2013 (récompensée par le prix Clément Ader en 2014). Le présent ouvrage est tiré de cette thèse, et augmenté d'une étude poussée à un niveau plus global. 

La problématique à laquelle tente de répondre la thèse du capitaine Aubout est la suivante : "en quoi les bases aériennes, organisées en réseaux, peuvent-elles être considérées comme un élément de géostratégie?"
Alors que l'armée de l'air a fermé de nombreuses bases aériennes au cours des dernières années, il semble en effet à propos de s'interroger sur la pertinence du maintien ou non du réseau historique de ces bases, développé au gré des menaces du siècle passé. Le capitaine Aubout poursuit ainsi son questionnement : "... le réseau des bases aériennes constitue-t-il à la foi un enjeu et un et un instrument de la puissance d'un l'Etat, et comment peut-il être utilisé comme une grille de lecture des évolutions de politiques intérieures et extérieures d'une nation ?"

Pour y répondre, l'étude du capitaine Aubout se décompose en trois grandes parties : il y présente dans une première partie la notion de réseau de terrains d'aviation / bases aériennes et le concept géostratégique auquel ce réseau correspond, résumé par une phrase très claire : tenir l'air par la terre. La seconde partie se concentre ensuite sur les réseau des bases aériennes en France métropolitaine avant que l'étude ne s'élargisse, dans une troisième partie, aux réseau des bases aériennes françaises autour du monde, et le rôle qu'elles tinrent à l'occasion des conflits de décolonisation, et qu'elles tiennent encore aujourd'hui dans un contexte de menaces plus diffuses...

C'est donc d'abord le concept de "réseau de bases aériennes" qui est défini, d'un point de vue géographique et stratégique. Ces notions paraissent, de prime abord s'adresser, à un public non initié, tant le lecteur aérophile imagine aisément que l'implantation d'une base aérienne doit faire face à la menace potentielle, en tenant compte de l'autonomie et du rayon d'action des avions qui doivent y être basés, mais aussi des caractéristiques des avions ennemis. On suppose également qu'un vaste terrain, situé de préférence en plaine est souhaitable, dans la mesure du possible à l'écart de centres urbains importants, tant pour limiter les nuisances que les risques pour les populations en cas de bombardements de la base aérienne. Il est pourtant nécessaire de définir les termes du sujet traité et les spécificités de son approche géographique à l'intention de tous types de publics. En outre, de par son étude approfondie du sujet, l'auteur n'en tord pas moins le cou à certains a priori que pourraient avoir un lecteur un peu initié, et démontre la pertinence de ses questionnements. Il cite ainsi, entre autres, l'exemple de certaines bases aériennes suisses ou scandinaves, implantées dans des vallées, dotées d'abris et de hangars creusés dans la roche, au creux des montagnes.

Du fait de la souveraineté des états sur leur espace atmosphérique, l'auteur insiste sur l'importance des alliances politiques entre pays voisins, mais aussi sur la fragilité des accords de coopération en matière d'autorisations de survol dans le cadre de mission militaires, loin d'être automatiquement accordées, même par des états alliés. Il en résulte une nécessité de répartir les plate-formes aéronautiques militaires, pour que la force aérienne soit le plus réactive possible, en s'affranchissant du relief, et du voisinage, pour s'opposer à la menace. De ce constat naît l'adéquation entre la mission originelle des avions (interception, bombardement...) et le choix de leur base d'implantation - considération s'émoussant avec le temps, les appareils devenant de plus en plus polyvalents et les bases aériennes de moins en moins nombreuses. L'auteur présente les thèses des quelques stratèges aériens ayant, dès les débuts de l'aéronautique, formulé des réflexions sur la place des aérodromes dans la stratégie aérienne. Il étaye et illustre son propos par de nombreux exemples de bases étrangères (aux Etats-Unis ou en Inde, par exemple) et des exemples de missions du guerre aérienne mettant en exergue le facteur géographique (raids américains sur la Libye depuis l'Angleterre en 1986, raids français sur l'Afghanistan depuis le Kirghizstan en 2002).

La tentative de l'auteur de dégager une typologie du réseau des bases aériennes n'aboutit pas forcément à une réponse définitive ni figée - on l'imagine aisément au vu de la mouvance de ce réseau, au gré des fermetures de plate-formes notamment - mais apporte de nombreuses pistes de réflexions et de nombreuses sources d'inspiration.

En se concentrant sur le réseau des bases aériennes en France métropolitaine, la seconde partie fait moins l'objet de concepts stratégiques parfois abstraits, ou tout du moins ardus pour le lecteur qui n'est ni militaire ni stratège de profession.
L'auteur y revient notamment sur l'adéquation entre l'implantation des bases face à une menace essentiellement venue de l'Est et d'abord d'Allemagne, dès le début du XXe siècle. En résulte l'aménagement de nombreux champs d'aviation dans l'actuelle région Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine (ACAL) de même qu'au début de la Seconde Guerre mondiale. L'impasse n'est pas faite sur le réseau des bases de l'armée de l'air de Vichy en 1942, avant d'en arriver à la menace de l'Union Soviétique, à la fin des années 1940, aboutissant à la période de guerre froide qui vit une multiplication et une modernisation des bases aériennes - pour certaines encore en service aujourd'hui. L'auteur évoque brièvement la présence de bases aériennes alliées sur notre sol dans le cadre de l'OTAN et présente d'ailleurs à ce stade la géographie d'une base aérienne, avec l'exemple de Grostenquin d'après nos travaux. Cet épisode sert surtout à appuyer la redéfinition du réseau des bases aériennes françaises, tant en France qu'en Allemagne, au moment du retrait français du commandement intégré de l'alliance Atlantique, et peu ou pas d'éléments nouveaux sur les bases aériennes canadiennes et américains en France sont présentés dans cette étude.
Revenant sur la multiplication d'aérodromes militaires, s'appuyant sur le développement de l'aviation civile au début du XXe siècle, l'auteur fait ensuite émerger l'importante notion de "géographie économique", prenant en compte les retombées financières générées localement par la présence d'une base aérienne. Cette approche est à mettre en parallèle avec les déclarations récentes de politiciens, voulant justifier des décisions de fermetures de certaines bases, et pour lesquelles un simple recul de quelques années s'avère très instructif. A ce sujet, il est en effet dommage que l'auteur n'ait pas traité du poids de la géographie politique et de ses alliances, au regard des exigences rationnelles et stratégiques, dans l'évolution récente du réseau des bases aériennes. Mais c'est davantage là le rôle du journaliste d'investigations que celui du géographe ou de l'historien, surtout s'il est également militaire en exercice, et on en excuse bien volontiers l'auteur.

La troisième et dernière partie détaille la présence géographique de l'armée de l'air française dans le monde, par le prisme de l'empire colonial français et de son délitement. Bien sûr les conflits indochinois et algériens tiennent dans cette partie de l'étude une place importante. Mais avant que l'empire français ne se désagrège, l'auteur revient sur son développement et le rôle tenu par l'aviation civile et les raids aéronautiques dans le maintien du lien métropole-colonies. De là naît la nécessité de bases aériennes militaires à l'étranger, pour tenir des positions et des points d'escales stratégiques permettant le ravitaillement des appareils et équipages et garantissant les liaisons aériennes. Le capitaine Aubout étaye son propos sur la présentation des réseaux de terrains d'aviation en Algérie et en Indochine bien sûr, mais aussi à travers l'Afrique Occidentale Française (AOF), l'Afrique Equatoriale Française (AEF), Madagascar, ou même vers l'Amérique du Sud... Au gré des pages, on flirte avec l'histoire de l'Aéropostale et on voit l'importance de ce réseau d'escales aériennes militaires dans le développement de compagnies d'aviation commerciales!

Certes, un tel ouvrage ne se lit pas comme un roman d'aventures : des notions stratégiques parfois peu intuitives ou évidentes demandent une disponibilité mentale et une immersion totale dans le propos de l'auteur. Toutefois, on voit bien par cette recension, qui ne fait qu'effleurer la surface de l'étude de Mickaël Aubout, l'étendue des implications politiques, économiques et même commerciales du développement et de l'évolution des bases aériennes, en particuliers françaises, en métropole comme dans le monde, à travers le grand siècle qui vient de s'écouler. Un tel retour sur 103 années d'évolutions géographiques, techniques, politiques et donc stratégiques mérite d'être largement salué. Certains passages du texte, évoquant, au moment de la soutenance de la thèse en 2013, des projets de restructurations et de fermetures devenus réalités au moment de la publication en 2015, auraient toutefois gagné à être ré-écrits au passé pour que le propos gagne en intelligibilité pour le lecteur qui n'aurait pas suivi l'actualité de ces dernières années*. Mais le propos et les conclusions en auraient peut être été modifiés, impliquant une ré-écriture trop en profondeur?
Un autre aspect non négligeable faisant la valeur de cette étude est l'imposante bibliographie thématique, exhumant certaines sources se révélant très intéressantes, notamment des publications datant des premières heures de la guerre froide et traitant du camouflage des bases d'opérations tactiques, du desserrement ou encore des "infrastructures atomiques", jadis publiées - notamment - dans la revue Forces Aériennes Françaises.

Quoi qu'il en soit, cet ouvrage tiendra une bonne place dans votre bibliothèque si vous vous intéressez un temps soit peu aux bases aériennes et à la place qu'elles occupaient, qu'elles occupent et qu'elles occuperont dans la stratégie aérienne, en particulier française.

* de nombreuses bases aériennes ont fermé durant ce laps de temps : Reims, Colmar, Cambrai, Metz, Dijon rien que pour la Métropole.


4e de couverture - cliquez pour agrandir

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Les bases de la puissance aérienne
Mickaël Aubout
Préface de Jean-Robert Pitte
Collection Stratégie aérospatiale
452 pages
24 euros
ISBN : 978-2-11-0010022-1

samedi 11 juin 2016

Exposition Chambley Air Base / Aero Marguerite


Décidément, les soixantenaires se suivent, mais ne se ressemblent pas! Alors qu'à Vandoeuvre on célèbre les 60 ans du village américain de Bois-le-Duc, sur la base de Chambley ce week-end, une exposition remet en lumière le passé américain de cette ancienne base aérienne.

L'inusable Yvon Crosa, et son association Aero Marguerite vous accueillent sous le chapiteau de la Communauté de Communes du Chardon Lorrain, à côté du circuit Francis Maillet Compétition (côté Saint-Julien lès Gorze) pour une exposition rétrospective de la période américaine de la base de Chambley, à l'occasion du 60e anniversaire de son inauguration. Si la base était opérationnelle depuis l'été 1955, l'inauguration officielle avait en effet un peu tardé.

Découvrez ou redécouvrez ce passé en images, aujourd'hui et demain, de 9h00 à 18h00!

60e anniversaire du "Village américain de Bois le Duc"


Hier soir, vendredi 10 juin, la salle Jacques Brel de l'espace Prévert de Vandoeuvre-lès-Nancy était comble pour assister à une conférence présentant les origines du village américain de Bois-le-Duc. Le match d'ouverture de l'Euro 2016 opposant la France à la Roumanie n'a donc pas eu de prise sur la fréquentation de cette conférence, programmée il est vrai à 18h30 ; preuve de l'intérêt du public pour l'histoire contemporaine, en particulier celle de la présence de troupes US en France de 1950 à 1967. 

Car s'il est mal connu, le "village" de Bois-le-Duc, construit dans la seconde moitié des années 1950 sur les hauteurs de Vandoeuvre est bien une conséquence directe de la présence américaine en France dans le cadre de l'OTAN. Ses pavillons étaient en effet réservés aux familles de GI's en service au Nancy Ordnance Depot implanté en forêt de Haye.

Les trois conférenciers, de gauche à droite Jean-Marie SIMON, Pierre-Alain ANTOINE et Pierre LABRUDE. 
Trois orateurs se sont succédé pour présenter l'origine de ce village américain - parmi de nombreux autres en France - dans le cadres des festivités du soixantenaire de Bois-le-Duc organisées par l'amicale des habitants actuels.
Pierre-Alain Antoine, ancien pilote de chasse et colonel en retraite de l'armée de l'air a d'abord rappelé le contexte historique ayant abouti a la création de l'OTAN et à l'installation d'une ligne de communication américaine en France, et donc également des personnels chargés de la faire fonctionner.
Pierre Labrude a ensuite beaucoup évoqué les conditions de vie des GI's et de leurs famille en France, ainsi que les aspects que revêtait la vie sociale de cette population en France.
Enfin, Jean-Marie Simon, architecte, a présenté les spécificités administratives et architecturales des villages américains de Meurthe-et-Moselle à travers les exemples de Bois-le-Duc bien sûr, mais aussi des trois autres cités que compte le département : Regina Village et la "cité de la route de Verdun" à Toul, et Toulaire à Saizerais/Liverdun.


Les festivités continuent durant ce week-end. Aujourd'hui samedi, l'amicale de Bois-le-Duc organise des manifestations privées réservées aux habitants, mais demain dimanche 12 juin, les festivités sont ouvertes au public. La danse, notamment d'origine américaine, y sera très représentée, mais aussi, dès 11h00, une "causerie" rassemblera les Vandopériens qui assistèrent il y a 60 ans à la construction du village et à l'arrivée des Américains. Echanges d'histoires et d'anecdotes assurés! (programme ci-dessous).


Ce sera sans doute l'occasion pour les personnes intéressées de se procurer le dernier tome de l'histoire de Vandoeuvre, signé Danièle Verdenal, ancienne journaliste de l'Est Républicain. Cet opus qui couvre la période de 1950 à 2015 comprend en effet une vingtaine de pages, comprenant textes et photos, consacrées à l'histoire du village de Bois-le-Duc (couverture ci dessous - prix de vente : 35 euros).