mardi 26 mai 2015

Pilote de Reco

Etant dans l'impossibilité - momentanée - de mettre à jour les pages de mon site, c'est sur le blog, habituellement réservé à la partie "actu" que je poste pour le moment les recensions de mes dernières lectures, qui ne sont pas forcément des parutions récentes. Ces recensions prendront tout naturellement place dans les bibliographies ad hoc de mon site dès que possible.

Voici donc ci-dessous la recension de l'excellent Pilote de reco, de Philippe Jarry : 


Pilote de reco

Le temps des commandements


Avec cet opus, Philippe Jarry signe le second volet de la biographie aéronautique et militaire de son père, Pierre Jarry, après Des images sous les ailes. Pour autant, il n'est pas nécessaire d'avoir lu ce premier volume pour apprécier la suite à sa juste valeur. La deuxième partie de la carrière de cet officier de l’Armée de l’Air coïncide en effet avec la pleine période d’engagement de la France dans l’OTAN, mais aussi avec son retrait et ses conséquences. Sa lecture en est donc très intéressante, à bien des égards.

Le récit de Philippe Jarry, en plus d’être agréable à lire au niveau de la forme, l’est autant au niveau du fond : un réel travail d’historien accompagne l’exploitation des carnets de vol et de la correspondance de son père qui donnent la trame à l’ensemble. Et comme l’auteur est lui même un professionnel de l’aéronautique, les références aux appareils, à leur performances, à leurs concurrents dans le contexte historique et industriel évoqué, sont pertinentes et éclairent d’une lumière aéronautique bienvenue l’enchaînement des affectations de Pierre Jarry. En effet, tout au long de sa carrière d’officier supérieur puis d’officier général, Pierre Jarry n’a jamais rendu le manche, restant très attaché au maintien de ses qualifications opérationnelles malgré, des postes de plus en plus bureaucratiques.

De format 16x24 cm, à couverture souple, ce livre de 400 pages renferme une petite quarantaine d’illustrations en noir et blanc imprimées sur papier couché, compilées hors-texte dans un cahier  en fin d’ouvrage. C’est d’ailleurs là un des seuls bémols que l’ont peut émettre au sujet de ce livre, pour des raisons de confort et de linéarité de lecture. De même, les références dans le texte auraient gagné à renvoyer à des notes de bas de page plutôt qu’à une bibliographie et des sources compilées en fin d’ouvrage. Les allers-retours effectués en cours de lecture ne sont pas des plus agréables. Mais ce modus operandi est préféré par les éditeurs en raison du coût moindre de fabrication (maquette et type de papier). Ce détail (habituel pour ce type de publications) mis à part, cet ouvrage est vraiment un must pour qui s’intéresse à la renaissance de l’Armée de l’Air au cours des décennies 50’s, 60’s et 70’s et à son engagement dans l’OTAN.

Pilote de reco s’ouvre sur le retour en France de Pierre Jarry : revenu d’Indochine, il est muté à Cognac début 1954 pour y prendre le commandement de l’ER 1/33 Belfort. L’auteur re-situe bien le contexte de guerres de décolonisation, de guerre froide et, notamment, la différence qui existe à cette époque entre l’armée de l’air déployée en opérations extérieures - évoluant sur avions à hélices - et l’armée de l’air de métropole, dont les escadres ont alors presque toutes été transformées sur jet.
A cette époque, le Belfort vole sur F-84G Thunderjet, puis enchaîne sa transformation sur un "vrai" avion de reconnaissance, conçu à cette fin : le RF-84F Thunderflash

Le premier chapitre donne d’intéressants détails sur l’emploi de la base de dispersion de Lunéville-Croismare, terrain d’opérations de temps de guerre pour l’ER 1/33. En effet, la « 33 », étant la seule escadre de « reco » versée au 1er Commandement Aérien Tactique* français (1er CATAC), il lui incombe, en cas de guerre avec les pays du pacte de Varsovie, d’effectuer des missions de reconnaissance sur le secteur centre-Europe. Or, l’autonomie des RF-84F et l’absence d’avions ravitailleurs au sein de l’armée de l’air à cette époque (le "RF" est en effet ravitaillable en vol!) ne permettent pas d’assurer ce rôle depuis Cognac. Les terrains d’opérations de Lunéville (pour le 1/33) et de Lahr (RFA; pour le 2/33) jouèrent donc un rôle crucial - en temps de paix - pour l’entraînement des pilotes de reco du 1er CATAC, en accueillant régulièrement ces escadrons à l’occasion de manoeuvres.
Une petite erreur s’est glissée page 41 quand l’auteur cite Michael Collins qui, depuis Châteauroux  à cette époque (six mois seulement, avant de rejoindre Chambley) ne volait pas sur F-84 comme indiqué, mais sur F-86F Sabre

Après Cognac, c’est justement à Lahr-ville qu’est affecté Pierre Jarry, mais cette fois au sein du 1er CATAC, au bureau « Plans-Emploi, Manoeuvres ». Là, il est au premier plan pour participer à l’organisation des grandes manoeuvres de l’OTAN, comme l’exercice Counter Punch en 1957. La BA 139 de Lahr-Hugsweier toute proche, qui héberge encore la 9e Escadre de Chasse à cette époque, lui permet de continuer à voler sur F-84G d’abord, puis après le départ de l’escadre vers Metz, sur les T-33 du CEVSV pour maintenir ses qualifications opérationnelles. 

Fin 1957, il est de retour à la tête de la 33e escadre de Reconnaissance qui a entre temps déménagé de Cognac à Lahr. A cette époque, la France traverse une crise du pétrole suite à l’affaire de Suez (rationnement en carburant pour les Français, mais répercutions également dans les armées et donc les escadres). Les exercices interalliés Royal Flush rythment alors la vie de l’escadre (notamment du 1/33), et les quelques détails distillés dans le texte sur le déroulement de ces exercices trop méconnus ravira les amateurs.

Après une année à la tête de la « 33 », Pierre Jarry intègre l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne dont il sort major à l’été 59 avant d’intégrer le Cours Supérieur Inter-Armées. Il axe naturellement le sujet de sa thèse sur la reconnaissance. Visionnaire, il prône alors la fusion des unités de chasse, reconnaissance et bombardement. Il juge plus pertinent d’équiper un chasseur-bombardier de caméras plutôt que d’envoyer un appareil de reconnaissance, rendu hautement vulnérable, en raid post-strike sur le même objectif. Cette conception assez avant-gardiste pour l’époque sera finalement appliquée durant la décennie suivante au sein des escadrons de Mirage III, et est toujours appliquée aujourd’hui.

Philippe Jarry évoque ensuite de façon très juste l’ambivalence des sentiments qui animent les armées françaises lors du putsch des généraux, d’autant que le très estimé et respecté général Challe (Armée de l’air) fait partie du « quarteron ». Intégré - trop tôt sans doute - au sein du cabinet du Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air (CEMAA), on retrouve ensuite Pierre Jarry sur la base aérienne 116 de Luxeuil dont il prend le commandement à l’automne 1963. Comme pour le putsch d’Alger, l’auteur ne manque pas de rattacher la carrière de son père aux hauts faits militaires et diplomatiques de l’époque. Ainsi, l’épisode du Voodoo américain survolant le site nucléaire de Pierrelatte, le 16 juillet 1965, est rapporté de manière intéressante et amusante, éclairant un peu cette histoire dont plusieurs versions ont pu parfois se confronter par le passé. A ce titre, lorsqu’il évoque cet évènement (p 185), l’auteur fait références aux bases américaines de Châteauroux, Chaumont, Evreux, Phalsbourg qui hébergent - écrit-il - d’importantes unités de combat ou de transport US. Précisons qu’à cette date, ce n’est plus vrai pour Chaumont ni pour Phalsbourg qui sont alors passées sous statut de bases de dispersion (DOB) et qui attendent tranquillement leur fermeture.

Pierre Jarry quitte ensuite la Haute-Saône pour regagner la capitale en septembre 65, et une nouvelle fois l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne - plus en tant que stagiaire, mais en tant que directeur des études cette fois. Continuant dans un cursus administratif et pédagogique, il intègre ensuite le commandement des écoles à Villacoublay en tant qu’Officier Supérieur Adjoint (où il continue de voler, sur Fouga et MS Paris!) avant d’être nommé général, à la tête du 1er CATAC à Metz en 1969. Ce passage sera bref, mais c’est sans doute mieux pour lui : être un « aviateur sous terre » au sein de son PC enterré du fort de Guise n’est pas l’affectation rêvée. Il en profite cependant pour se faire lâcher sur Mirage IIIR dont deux exemplaires sont détachés en permanence à Frescaty pour les généraux de la FATAC (le 1er Catac était alors subordonné à la FATAC commandée depuis Metz par un général de corps d’armée, de même que le 2e CATAC stationné alors à Nancy).

Pierre Jarry effectue un troisième et dernier passage à l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne, en tant que directeur cette fois. Au passage, une erreur s'est glissée page 213 lorsque l'auteur évoque  la base d’Evreux qui selon lui est, en 1966 "une des grandes bases du transport de l’Armée de l'Air". Ca ne sera vrai que l'année suivante en 1967, cette base étant alors encore utilisée par l'US Air Force.
Enfin, sa dernière mutation est sans doute la plus lointaine puisqu'elle le mène outre-Atlantique, à Washington, en tant qu'attaché de l'Air à partir de 1972. Ce poste qu'il occupe quatre ans, jusqu'à sa retraite, lui permet de rester dans le "renseignement", même s'il ne s'agit plus cette fois d'effectuer des photos aériennes, mais, bien plus subtilement, de s'informer et d'informer l'ambassadeur via un large réseau d'attachés militaires et de connaissances à tous niveaux, sur les questions stratégiques de politique et de défense.

Bien qu'il s'agisse là d'une partie moins "guerrière" que celle relatée dans le tome 1 de la biographie de Pierre Jarry, ce tome 2 en demeure pourtant très intéressant. Il permet de s'immerger dans le climat de l'Armée de l'Air de l'indépendance Atlantique, sur fond de développement du programme nucléaire français. Très agréable à lire, agrémenté de photos intéressantes, ce livre clôt l'hommage d'un fils à son père, qui fut, de l'avis général, un grand meneur d'hommes et un chef apprécié au sein de l'Armée de l'Air.


* commandement français regroupant les unités de l'Armée de l'Air mises à la disposition de l’OTAN en cas de conflit.


Nouvelles Editions Latines 
400 pages
ISBN : 9782723395823
30 euros.

mercredi 13 mai 2015

Il a fait son Amérique à Châteauroux


La base américaine de Châteauroux et l'ère de prospérité économique qui résulta de son activité a déjà fait couler beaucoup d'encre, et le phénomène ne semble pas près de s'arrêter! Depuis quelques années en effet, les ouvrages consacrés à la base américaine de Châteauroux se multiplient.

C'est pourtant un axe assez inédit que celui pris par Nicolas Pavlicevic pour le traitement de ce sujet dans son livre Il a fait son Amérique à Châteauroux. En relatant l'épopée d'un immigré monténégrin en quête d'Arizona, qui rencontre l'Amérique plus tôt que prévu dans sa route vers l'Ouest, en plein coeur de l'Indre, l'auteur rend un vibrant hommage posthume à son père Wojo. Ce dernier est en effet le personnage principal de cette histoire qui éclaire d'une lumière originale l'histoire américaine de Châteauroux. A la lecture de ce texte, on prend la mesure du rayonnement qu'exerçait alors cette "ville américaine" située en plein Berry...

Répondant à l'invitation d'un improbable oncle d'Amérique, le jeune Wojo, 24 ans, quitte son Monténégro natal, en quête d'aventures et d'argent facile, de l'autre côté de l'Atlantique. Mais le chemin pour parvenir à cet Eldorado est long et compliqué. Wojo embarque donc son ami d'enfance dans cette aventure à l'issue prometteuse : à deux, on est plus fort : on se sert les coudes et on entretient le rêve et la motivation. Jeunes et désargentés, les deux amis parviennent tout de même jusqu'à Bordeaux. Par le biais de rencontres inattendues, mais de mains, elles, tendues, les deux jeunes gens trouvent de petits boulots, espérant économiser pour la grande traversée. Mais bien sûr, comme le laisse deviner le titre du livre, rien ne se passe comme prévu...

Ce n'est qu'au terme du premier tiers du récit, par le truchement d'une petite annonce, que Wojo quitte Bordeaux pour la base américaine de Châteauroux où il arrive au début des années soixante. Embauché comme coiffeur à la Martinerie, il passe ses journées à coiffer des GI's et ses soirées débridées à écumer les bars et les dancings castelroussins. De nouvelles rencontres improbables avec des membres de la diaspora balkanique vont sourire au héros et lui permettre de s'intégrer facilement dans la cité. Personnage fêtard, bagarreur à ses heures, Wojo ne pouvait pas mieux tomber qu'à Châteauroux en pleine période américaine! On peut toutefois s'étonner de ne pas trouver d'anecdotes au sujet du marché noir qui gangrénait la base américaine à l'époque et qui n'a pas dû laisser Wojo indifférent, lui qui travaillait à la Martinerie où il avait de nombreuses relations...

Son fils nous dépeint notamment ce à quoi pouvait ressembler la vie nocturne dans la capitale de l'Indre, du temps de sa prospérité économique. S'il n'a pas directement connu l'époque américaine, Nicolas Pavlicevic, dont la mère tenait une auberge très fréquentée par les GI's dans les environs de Châteauroux, fut le témoin privilégié de récits évoquant la présence des Américains et de leurs frasques, sans doute tant par son père que par sa mère. C'est ce qui l'a poussé à témoigner  de cette vie nocturne, souvent mentionnée dans l'histoire des villes de garnisons américaines mais qui n'avait que peu fait l'objet de récits détaillés dans la littérature consacrée au sujet. Le lecteur (re)découvre ainsi la "valse" des prostituées descendant de Paris par le train tous les quinze jours, les soirs de paye à la base américaine, mais aussi les clivages existants entre les soldats américains Noirs et les Blancs, qui ne fréquentaient pas les mêmes bars ou boîtes de nuits, insufflant des ambiances musicales différentes en fonction des lieux, les Noirs étant pionniers de cette musique nouvelle et inconnue dans l'Indre qu'on appelle le jazz...

Outre les tribulations nocturnes de la population castelroussine, Nicolas Pavlicevic nous donne à considérer le contexte d'alors, et le fossé qui existait entre Français et Américains : ainsi le restaurant des parents de l'auteur n'était pas doté de chauffage central, et cette étape ne fut franchie qu'à grands frais non pour leur confort personnel, mais pour conserver la clientèle! Le self-service, qui aujourd'hui est largement intégré était alors une nouveauté pour les employés civils de la base, si bien que Wojo avait dû s'en faire expliquer le fonctionnement! Enfin, à l'époque où les avions cargos américains en provenance des Etats-Unis déchargeaient quotidiennement leurs cargaisons à Châteauroux, l'armée française, elle, communiquait encore par le biais de pigeons voyageurs!
L'auteur commet pourtant quelques erreurs ou approximations historiques : ainsi, page 9, ce n'est pas l'existence du grand aéroport qui fait pencher les stratèges américains pour l'installation d'une base US à Châteauroux, puisque ce sont les Américains qui ont construit l'aéroport dans sa forme actuelle. Il n'existait, avant leur arrivée, que deux insuffisantes aires d'atterrissage en herbe, l'une à Déols, l'autre à la Martinerie.

L'initiative de Nicolas Pavlicevic mérite donc d'être saluée. Pourtant, ce témoignage romancé n'a rien de très littéraire, ni dans la forme, ni dans le style. S'il est mû par le désir, voire par la nécessité de témoigner de l'histoire de son père, l'auteur nous prouve toutefois que ne s'improvise pas écrivain qui veut! Son texte comporte en effet de nombreuses erreurs stylistiques et structurelles qui rendent la lecture parfois laborieuse, empêchant la bonne compréhension du propos. Par exemple, lorsque le récit bascule sans guillemets ni italique de la 3e à la 1ère personne du singulier, le lecteur demeure perplexe, ne sachant plus si l'auteur fait parler son père ou s'il parle en son nom propre. Il faut dire que par le biais d'un style familier, même parfois "parlé", l'auteur n'hésite pas à inclure ses commentaires personnels et ses jugements à l'histoire qu'il relate, interpellant le lecteur, digressant fréquemment et faisant preuve d'une emphase traduisant l'admiration touchante, mais parfois un peu naïve, du fils envers son père.

Les fautes d'orthographe et de grammaire (notamment la concordance des temps) sont nombreuses, alors que, paradoxalement, l'imparfait du subjonctif est lui aussi assez présent et utilisé très à propos! Une relecture sérieuse a donc clairement manqué dans la préparation de ce livre, ce qui est regrettable car sans cela, cet ouvrage au demeurant sympathique eût été nettement plus recommandable! Dommage donc que cette compilation d'anecdotes unique, fleurant bon l'ère américaine, ne soit pas mieux mise en valeur, il s'en est fallu de peu! Au niveau iconographie, là encore, l'essai n'est pas transformé puisqu'une dizaine de photographies assez ternes agrémente quelques pages du livre, parfois sans légendes et imprimées sur un papier qui n'est pas fait pour ça...

Ce petit opus est donc à prendre avec indulgence pour ce qu'il est : le témoignage sans prétention d'une expression assez inédite de l'Amérique castelroussine, celle d'un immigré monténégrin en quête d'Arizona et qui, de son propre aveu, reconnut : "Châteauroux, c'est déjà mon Amérique à moi!"


4e de couverture d'Il a fait son Amérique à Châteauroux, de Nicolas Pavlicevic.
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Il a fait son Amérique à Châteauroux
de Nicolas Pavlicevic
240 pages
20 euros
ISBN 978-2-919009-65-7
Pour commander, cliquez ICI.

lundi 11 mai 2015

Portes ouvertes à Chambley le week-end prochain


Le Conseil Régional de Lorraine ne pouvait trouver une occasion plus indiquée que le week-end de l'ascension pour organiser les portes ouvertes de la base de Chambley. L'opportunité pour les Lorrains de prendre un peu de hauteur sur leur région puisque, quatre jours durant, du 14 au 17 mai prochains, de nombreux vols et baptêmes de l'air seront à gagner pour les visiteurs.

Toutes les associations et structures implantées sur le site seront sur le pied de guerre pour offrir un beau spectacle, en l'air et sur terre, aux visiteurs qui ne manqueront pas d'être nombreux, si toutefois la météo est de la partie.

Ces journées seront l'occasion de découvrir l'activité "avion" auprès de l'aéroclub les Ailes Mosellanes,  la montgolfière et son histoire chez Pilâtre de Rozier Organisation qui prépare activement le Lorraine Mondial Air Ballons de cet été, ou encore l'ULM.
La société l'Europe vue du ciel ouvrira les portes de son musée de la photos aérienne, et une exposition de voitures anciennes est également prévue, mais cette liste n'est pas exhaustive! 
Boissons et casse-croûtes seront proposés sur place. Alors, rendez-vous nombreux à Chambley, l'entrée est gratuite!

Pour en savoir plus cliquez ICI.

vendredi 8 mai 2015

Lille-Lesquin, d'hier à aujourd'hui


En fin d'année dernière, nous vous parlions ici-même du dernier opus de Pierre-Antoine Courouble consacré à l'histoire du terrain de Lille-Lesquin, devenu base aérienne, puis aéroport international.
Lecture faite, voici venu le temps de vous en dire un peu plus pour vous encourager, si le sujet vous intéresse, à étoffer votre bibliothèque de ce beau petit pavé.

Le terme "pavé" n'est pas usurpé, tant son format inhabituel (A5) étonne de prime abord, d'autant plus que le livre est joufflu (512 pages, quand même!). Pourtant, ce format s'avère assez pratique à manipuler et confortable en cours de lecture. 

Ce sont plus de sept années de recherches qui sont compilées dans cet ouvrage à couverture souple, très richement illustré - nous n'avons pas compté les illustrations, mais le lecteur féru de photos en aura à coup sûr pour son argent. L'impression est monochrome, ce qui n'est pas pénalisant puisque la grande majorité des archives photographiques rassemblées par l'auteur datent de la Seconde Guerre mondiale ou d'avant. Il est en outre très appréciable que les photos soient disséminées au fil du texte, et non rassemblées dans des cahiers au centre de chaque chapitre comme c'est souvent le cas dans ce type de publications, ce qui aurait rendu la lecture assez désagréablement hachée en raison des allers et retours qu'il convient de faire pour mettre en parallèle texte et photos dans ce cas de figure. Seuls petits bémols iconographiques : d'une part l'absence des crédits photos "au fil de l'eau", ces indications, quand elles existent, étant compilées en fin d'ouvrage ; d'autre part, l'intérêt tout relatif de quelques photos contemporaines assez peu parlantes, montrant des champs agricoles pour figurer l'emplacement d'anciens terrains, sans références cartographiques de l'emplacement ni de la direction de la prise de vue.

On se surprend presque à avaler les pages, et à "taper" assez vite dans ce pavé. En effet, le style est agréable et la lecture fluide. L'histoire de Lille-Lesquin est abordée de façon très pédagogique, avec cartes, plans, photos aériennes et schémas à l'appui. Ainsi, même sans connaître l'aéroport, ses environs, ni même la région, on suit très bien le propos de l'auteur, l'évolution de la "morphologie" du terrain et les différents aménagements et extensions présentés.

Après une étonnante introduction, à la narration un peu fantaisiste (l'auteur s'adresse au lecteur tantôt à la 1ère ou à la 3e personne du singulier, ou encore à la 1ère personne du pluriel), l'étude commence par une présentation de la situation en 1913-14, au tout début de l'aviation, lorsqu'il faut déterminer l'emplacement d'un terrain d'aviation pour Lille. La démographie de la région ne fait pas immédiatement pencher les édiles pour Lesquin, on le comprend aisément. Il est intéressant de suivre ces tractations et délibérations d'avant-guerre (WW1). Comme souvent dans l'histoire des terrains d'aviation, ce sont les infrastructures - même modestes - découlant d'un conflit qui serviront de base à des emprises progressivement plus imposantes. Les militaires jouant alors involontairement un rôle dans l'aménagement du territoire... 

Une longue alternance d'occupations aéronautiques militaires du terrain débute lorsqu'éclate la Première Guerre mondiale, allant de pair avec ses changements de dénomination. Ce sont en effet les aviateurs allemands qui sont les premiers militaires volants à utiliser des terrains d'aviation autour de Lesquin. Cédant aux trompettes de la mystification au lieu de s'en tenir aux faits historiques avérés, l'auteur spécule d'ailleurs brièvement sur le passage de l'as allemand Manfred von Richtoffen à Lesquin, sa base de Douai étant toute proche... procédé douteux qu'on retrouve néanmoins à une ou deux autres occasions au cours du récit. De nombreuses photos, tant d'avions que d'infrastructures, de soldats et de leurs cantonnements environnants recontextualisent bien la présence allemande durant les conflits et démontrent le zèle de l'auteur à relater l'histoire de Lille-Lesquin dans ses moindres détails, sans se cantonner à l'emprise aéronautique. Tout au long du livre, Pierre-Antoine Courouble intègre régulièrement des vues contemporaines de bâtiments persistants - plus pertinentes que celles de parcelles agricoles évoquées plus haut - aidant ainsi le lecteur qui souhaiterait faire de l'investigation in situ à retrouver ses marques.

Suite à la guerre, l'essor qu'a connu l'aviation dans les années 1920-30 est bien détaillé, avec la mise en place de lignes aériennes depuis Lille... mais pas forcément Lesquin! La bataille entre les différents sites pressentis pour accueillir l'aéroport de la métropole du Nord fait encore rage. D'intéressants plans de projets de bâtiments qui ne virent jamais le jour agrémentent ce chapitre et démontrent jusqu'où l'auteur est allé pour raconter l'histoire de "son" aéroport! En revanche, on regrette que certaines coupures de presse d'époque soient incomplètes, ne permettant pas de lire les articles dans leur intégralité.

Au milieu des années trente, on voit très bien qu'outre le besoin d'un aéroport civil, l'intérêt d'une base aérienne militaire se fait nettement sentir. C'est l'installation de l'armée de l'air à Lesquin qui va alors déterminer toute la suite de l'histoire de ce champ d'aviation. Les aviateurs du GAO 501 arrivent en 1936 et construisent les premières infrastructures de la future base aérienne. Pas encore de piste en dur à cette époque, une aire d'envol herbeuse suffit , mais déjà une (impressionnante) tour de contrôle, quelques hangars et des cantonnements sortent de terre. Cà et là, quelques coquilles apparaissent dans les désignations d'appareils (Léo 63/11, Potez 61, Heinkel 111 qui devient Heinkel III...) : invisibles pour le béotien, elle seront cependant facilement corrigées par le lecteur spécialiste et donc, pas dramatiques. 

L'histoire du terrain durant la Seconde Guerre mondiale est largement étoffée de témoignages de riverains qui viennent à propos, même s'ils s'enlisent parfois dans des détails personnels superflus. 
En outre, à plusieurs reprises, des indications entre parenthèses auraient gagné à être citées en notes de bas de page afin de ne pas alourdir le texte, comme certaines références de fonds d'archives consultés, ou bien encore la signification de certains sigles pouvant paraître obscurs au lecteur lambda (SNIA, CRT, SHAPE...).
A l'entrée en guerre, c'est la RAF qui prend possession de Lesquin pour en faire une importante base aérienne hébergeant de nombreuses unités de chasse et de reconnaissance. Au terme de la drôle de guerre, c'est à la Luftwaffe de s'y installer pour plusieurs années. Les nombreuses et imposantes infrastructures construites par les Allemands joueront plus tard un indéniable rôle dans la destinée de Lille-Lesquin : "otanisation" d'une piste puis installation d'une importante aérogare civile. Mais n'anticipons pas...

Photos anecdotes et témoignages (notamment les précieux souvenirs de Roger Villers) ne manquent pas pour relater les quatre années de présence allemande à Lesquin, qui accueille notamment des bombardiers dont les missions les mènent sur Londres et l'Angleterre. Certaines actions de résistance menées par la population locale ne sont pas oubliées non plus, comme le sabotage d'appareils par ajout de sucre dans les réservoirs. La physionomie insufflée au site par les Allemands se révèle impressionnante, et elle est bien détaillée par Pierre-Antoine Courouble, au moyen de photos aériennes notamment : de nombreux "dipersals", des hangars et cantonnements camouflés en fausses fermes, des piscines en dur creusées pour la détente des soldats allemands, d'imposantes et nombreuses batteries anti-aériennes... et surtout, deux grandes pistes bétonnées! Fait peu commun, Lesquin sert entre autres comme centre de retraitement des épaves aériennes : le métal est alors alors très recherché, et les Allemands sont déjà des pionniers du recyclage!

Une fois le secteur libéré par les Américains et les Britanniques, le terrain de Lesquin accueille une noria d'unités alliées qui s'y succèdent pour quelques jours ou quelques semaines à partir de septembre 1944 : Polonais, Français Libres des FAFL, puis à nouveau la RAF et notamment sa chasse de nuit... Comme à chaque fois en de telles situations, l'aérodrome a été saboté par les Allemands avant leur évacuation. Ainsi les pistes sont dynamitées pour être rendues impraticables et il faut tout remettre en état...

On l'aura compris, c'est la Seconde Guerre mondiale qui occupe la majeure partie de cet opus consacré à l'histoire de Lille-Lesquin. A la fin du conflit, le développement de l'aviation civile, qui avait été stoppé net par les combats, reprend logiquement son cours, tordant de fait le cou aux rivalités d'avant-guerre quant au choix de l'emplacement où construire l'aéroport. Les Allemands ont tranché, c'est donc Lesquin! Activité aérienne de loisir et liaisons aériennes reprennent donc depuis Lesquin. Pourtant l'armée elle aussi s'intéresse à nouveau à cette ancienne base aérienne!

C'est d'abord l'armée de l'air qui réinvestit le terrain en 1951, en y implantant un Centre d'Entraînement des Réserves Ordinaires. La France est alors engagée dans le conflit indochinois, et les pilotes réservistes sont des soldats dont on peut avoir besoin sans délai, il faut donc maintenir leurs compétences. L'unité vole alors essentiellement sur MS 472 et 475. 

C'est à cette même époque, de 1953 à 1955, que le terrain est adapté aux standards OTAN pour servir de base opérationnelle de dispersion (DOB) : l'ancienne piste allemande Est-Ouest est prolongée et doublée d'un taxiway parallèle. Trois marguerites fleurissent : deux au Sud de la piste, et la troisième au Nord-Est (celle-ci a aujourd'hui totalement disparu sous les parkings A et B de l'aéroport actuel). Leurs seize alvéoles sont conçues pour accueillir jusqu'à deux chasseurs chacune (et non un seul comme évoqué). Une ancienne soute à carburant allemande est même réutilisée pour ce nouvel aérodrome répondant aux critères de l'Alliance Atlantique. Comme sur de nombreuses DOB's, les rares constructions en dur se limitent à quelques baraques Fillod.

La base aérienne OTAN de Lille-Lesquin en 1957.
Photo IGN.

Malheureusement, cet épisode semble presque anecdotique tant l'importance qui lui est consacrée est faible : cinq pages seulement et quelques photos, dont une belle vue aérienne oblique. Quelques pages plus tôt, deux vues d'alignements de Vampire et de Mystère 4 (sans doute pas placées dans le bon chapitre) font également référence à cette période. Evidemment, comme pour l'histoire des autres bases de dispersion OTAN, il est difficile de retrouver des archives datant des années 50-60 où ces terrains, quoiqu'imposants, ont finalement peu servi. Mais il aurait été intéressant d'en découvrir un peu plus sur le plan de l'utilisation de l'aérodrome prévue en temps de guerre, et notamment à quelle base principale il était rattaché (sans doute Epinoy, dont sont sans doute originaires les Mystère IV entrevus en photo, mais rien n'est moins sûr comme on va l'évoquer plus loin). Les journaux de marches et d'opérations (JMO) des escadrons de la 12e Escadre de Chasse de Cambrai-Epinoy comportent peut-êtres des photos et indications détaillant des manoeuvres et déploiements effectués à Lesquin, comme ça a pu être le cas aussi à Cambrai-Niergnies... Il est toutefois intéressant de voir que la mise aux normes OTAN s'est faite alors que l'armée de l'air occupait déjà le terrain. Celle-ci ne semble d'ailleurs pas l'avoir quitté durant toute la durée des travaux. C'est à notre connaissance inédit dans l'histoire des aérodromes OTAN. Quel a été l'impact de ces travaux sur l'activité de l'unité de réserve, devenue entre temps ERALA 1/37? Là encore, le JMO de l'unité comportait peut-être quelques réponses. Quoi qu'il en soit, il apparaît logique, dans ces conditions, que l'armée de l'air émette le souhait d'une occupation étendue du site de Lesquin ainsi amélioré. Pourtant, l'activité civile étant déjà bien établie, les chambres de commerce des environs pèsent de tout leur poids pour que la base accueille un aéroport commercial moderne, et non une escadre de chasse. 

La chronologie de ces enchaînements d'ambitions et de décisions politiques mériterait d'être étudiée de plus près pour voir si le retrait de l'Armée de l'Air de Lesquin est à l'origine de la création de la Base Aérienne 103 de Cambrai-Epinoy, où s'il était déjà acté à l'époque que le terrain d'Epinoy, et non celui de Lesquin, allait accueillir la 12e Escadre de Chasse de l'armée de l'air... 
D'après Pierre-Antoine Courouble, les Etats-Unis auraient fait savoir en 1958 qu'ils renonçaient à l'utilisation de Lesquin. La mention d'une source aurait été appréciée. Il semblerait donc que dans le plan initial, Lesquin devait servir de DOB pour une unité de l'US Air Force alors basée en France. L'année 1958 correspond également à des réductions budgétaires US ayant mené, entre autres à la fermeture de la base américaine de Chambley (54) - autrement mieux équipée que la DOB de Lesquin. On comprend donc aisément que continuer d'investir dans l'aménagement du terrain de Lesquin n'ait plus eu d'utilité pour l'OTAN : si un renfort aérien devait être mis en place en Europe, d'autres bases pouvaient l'accueillir en priorité.

L'ERALA 1/37 reste donc la seule unité militaire à utiliser le terrain jusqu'au début des années soixante, évoluant à présent sur T-28 Fennec et autres SIPA S111. En 1963, le glas sonne pour les réserves de l'armée de l'air qui sont remplacées sur le terrain par les hélicoptères et les petits avions de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre (ALAT), prolongeant ainsi la présence militaire en parallèle du développement de l'aéroport civil. En 1963, la première aérogare est d'ailleurs inaugurée au son d'une fanfare de l'armée de l'air! Au fil du temps, les infrastructures aéroportuaires se révélant insuffisantes, de nouveaux aménagements sont construits tandis que l'aéroport poursuit son essor, d'un niveau régional à un niveau international. Ainsi deux tours de contrôle se succèdent, et trois aérogares sont également construites successivement. Le 2e Groupement d'Aviation Légère de l'Armée de Terre (2e GALAT) construit, lui aussi, de nouvelles infrastructures en parallèle. Cette unité d'environ 110 hommes changera de nom plusieurs fois durant ses 35 année de présence à Lesquin. Devenue escadrille, rattachée au 6e régiment d'hélicoptères de combat (RHC) de Compiègne, l'unité de l'ALAT quitte son détachement permanent de Lesquin en 1998, laissant toute la place à l'aviation civile et à son développement

Relater un siècle d'histoire dans un unique volume est une véritable gageure, surtout quand l'auteur, logiquement passionné par son sujet, a à coeur d'être exhaustif - voeu légitime tant on souhaite qu'un ouvrage face référence après y avoir consacré des années de recherches. Cette démarche n'est toutefois pas exempte de difficultés. Ainsi, les derniers chapitres du livres se chevauchent un peu et sacrifient à la chronologie, tant il était compliqué de relater l'émergence de l'aviation commerciale en parallèle de "l'otanisation" des infrastructures et de l'installation de l'ALAT. 

Le chapitre consacré à l'aviation commerciale (fret et passager), assez factuel, appelle peu de commentaires : évolution de l'activité depuis les années soixante jusqu'à nos jours, extension des parkings et des aérogares, visite de de Gaulle, de Concorde... Une anecdote toutefois, trahit la conception otanienne de l'aéroport, puisqu'en 1974, un DC8 se trompe de bretelle pour s'empêtrer dans la marguerite Nord où il lui est impossible de manoeuvrer (ce qui explique peut-être sa disparition au profit de grands parkings!). Enfin, il faut attendre 1987 pour voir quand même des avions de chasse américains (F-16 et A-10) à Lesquin,  à l'occasion d'un meeting aérien - un des rares qui s'est déroulé sur l'aéroport.

L'aéroport de Lille-Lesquin de nos jours.
Photo Google Earth.

Il convient de saluer le travail de "fourmi patiente" effectué par l'auteur pour écrire cette longue lettre d'amour de 512 pages à "son" aéroport à l'occasion de son centenaire. Car il s'agit bien là d'amour, un amour bien légitime pour le natif de Lesquin qu'est Pierre-Antoine Courouble. L'auteur nous gratifie d'ailleurs d'une heureuse initiative : celle de mettre en place un site internet en complément de son livre, pour y ajouter certaines informations ou photos, y corriger certaines erreurs ou imprécisions et bien sur, commander le livre. 

Rendez-vous donc sans tarder sur www.lille-lesquin.net pour compléter l'expérience!

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Lille Lesquin d'Hier à aujourd'hui
de Pierre-Antoine Courouble

Préface de Bruno Bonduelle
Avant-propos de Myrone Cuich
Postface de Daniel Percheron
Editions Samerlin / Association Anciens Aérodromes
ISBN 978-2-9551013-0-8
28 euros.