vendredi 8 mai 2015

Lille-Lesquin, d'hier à aujourd'hui


En fin d'année dernière, nous vous parlions ici-même du dernier opus de Pierre-Antoine Courouble consacré à l'histoire du terrain de Lille-Lesquin, devenu base aérienne, puis aéroport international.
Lecture faite, voici venu le temps de vous en dire un peu plus pour vous encourager, si le sujet vous intéresse, à étoffer votre bibliothèque de ce beau petit pavé.

Le terme "pavé" n'est pas usurpé, tant son format inhabituel (A5) étonne de prime abord, d'autant plus que le livre est joufflu (512 pages, quand même!). Pourtant, ce format s'avère assez pratique à manipuler et confortable en cours de lecture. 

Ce sont plus de sept années de recherches qui sont compilées dans cet ouvrage à couverture souple, très richement illustré - nous n'avons pas compté les illustrations, mais le lecteur féru de photos en aura à coup sûr pour son argent. L'impression est monochrome, ce qui n'est pas pénalisant puisque la grande majorité des archives photographiques rassemblées par l'auteur datent de la Seconde Guerre mondiale ou d'avant. Il est en outre très appréciable que les photos soient disséminées au fil du texte, et non rassemblées dans des cahiers au centre de chaque chapitre comme c'est souvent le cas dans ce type de publications, ce qui aurait rendu la lecture assez désagréablement hachée en raison des allers et retours qu'il convient de faire pour mettre en parallèle texte et photos dans ce cas de figure. Seuls petits bémols iconographiques : d'une part l'absence des crédits photos "au fil de l'eau", ces indications, quand elles existent, étant compilées en fin d'ouvrage ; d'autre part, l'intérêt tout relatif de quelques photos contemporaines assez peu parlantes, montrant des champs agricoles pour figurer l'emplacement d'anciens terrains, sans références cartographiques de l'emplacement ni de la direction de la prise de vue.

On se surprend presque à avaler les pages, et à "taper" assez vite dans ce pavé. En effet, le style est agréable et la lecture fluide. L'histoire de Lille-Lesquin est abordée de façon très pédagogique, avec cartes, plans, photos aériennes et schémas à l'appui. Ainsi, même sans connaître l'aéroport, ses environs, ni même la région, on suit très bien le propos de l'auteur, l'évolution de la "morphologie" du terrain et les différents aménagements et extensions présentés.

Après une étonnante introduction, à la narration un peu fantaisiste (l'auteur s'adresse au lecteur tantôt à la 1ère ou à la 3e personne du singulier, ou encore à la 1ère personne du pluriel), l'étude commence par une présentation de la situation en 1913-14, au tout début de l'aviation, lorsqu'il faut déterminer l'emplacement d'un terrain d'aviation pour Lille. La démographie de la région ne fait pas immédiatement pencher les édiles pour Lesquin, on le comprend aisément. Il est intéressant de suivre ces tractations et délibérations d'avant-guerre (WW1). Comme souvent dans l'histoire des terrains d'aviation, ce sont les infrastructures - même modestes - découlant d'un conflit qui serviront de base à des emprises progressivement plus imposantes. Les militaires jouant alors involontairement un rôle dans l'aménagement du territoire... 

Une longue alternance d'occupations aéronautiques militaires du terrain débute lorsqu'éclate la Première Guerre mondiale, allant de pair avec ses changements de dénomination. Ce sont en effet les aviateurs allemands qui sont les premiers militaires volants à utiliser des terrains d'aviation autour de Lesquin. Cédant aux trompettes de la mystification au lieu de s'en tenir aux faits historiques avérés, l'auteur spécule d'ailleurs brièvement sur le passage de l'as allemand Manfred von Richtoffen à Lesquin, sa base de Douai étant toute proche... procédé douteux qu'on retrouve néanmoins à une ou deux autres occasions au cours du récit. De nombreuses photos, tant d'avions que d'infrastructures, de soldats et de leurs cantonnements environnants recontextualisent bien la présence allemande durant les conflits et démontrent le zèle de l'auteur à relater l'histoire de Lille-Lesquin dans ses moindres détails, sans se cantonner à l'emprise aéronautique. Tout au long du livre, Pierre-Antoine Courouble intègre régulièrement des vues contemporaines de bâtiments persistants - plus pertinentes que celles de parcelles agricoles évoquées plus haut - aidant ainsi le lecteur qui souhaiterait faire de l'investigation in situ à retrouver ses marques.

Suite à la guerre, l'essor qu'a connu l'aviation dans les années 1920-30 est bien détaillé, avec la mise en place de lignes aériennes depuis Lille... mais pas forcément Lesquin! La bataille entre les différents sites pressentis pour accueillir l'aéroport de la métropole du Nord fait encore rage. D'intéressants plans de projets de bâtiments qui ne virent jamais le jour agrémentent ce chapitre et démontrent jusqu'où l'auteur est allé pour raconter l'histoire de "son" aéroport! En revanche, on regrette que certaines coupures de presse d'époque soient incomplètes, ne permettant pas de lire les articles dans leur intégralité.

Au milieu des années trente, on voit très bien qu'outre le besoin d'un aéroport civil, l'intérêt d'une base aérienne militaire se fait nettement sentir. C'est l'installation de l'armée de l'air à Lesquin qui va alors déterminer toute la suite de l'histoire de ce champ d'aviation. Les aviateurs du GAO 501 arrivent en 1936 et construisent les premières infrastructures de la future base aérienne. Pas encore de piste en dur à cette époque, une aire d'envol herbeuse suffit , mais déjà une (impressionnante) tour de contrôle, quelques hangars et des cantonnements sortent de terre. Cà et là, quelques coquilles apparaissent dans les désignations d'appareils (Léo 63/11, Potez 61, Heinkel 111 qui devient Heinkel III...) : invisibles pour le béotien, elle seront cependant facilement corrigées par le lecteur spécialiste et donc, pas dramatiques. 

L'histoire du terrain durant la Seconde Guerre mondiale est largement étoffée de témoignages de riverains qui viennent à propos, même s'ils s'enlisent parfois dans des détails personnels superflus. 
En outre, à plusieurs reprises, des indications entre parenthèses auraient gagné à être citées en notes de bas de page afin de ne pas alourdir le texte, comme certaines références de fonds d'archives consultés, ou bien encore la signification de certains sigles pouvant paraître obscurs au lecteur lambda (SNIA, CRT, SHAPE...).
A l'entrée en guerre, c'est la RAF qui prend possession de Lesquin pour en faire une importante base aérienne hébergeant de nombreuses unités de chasse et de reconnaissance. Au terme de la drôle de guerre, c'est à la Luftwaffe de s'y installer pour plusieurs années. Les nombreuses et imposantes infrastructures construites par les Allemands joueront plus tard un indéniable rôle dans la destinée de Lille-Lesquin : "otanisation" d'une piste puis installation d'une importante aérogare civile. Mais n'anticipons pas...

Photos anecdotes et témoignages (notamment les précieux souvenirs de Roger Villers) ne manquent pas pour relater les quatre années de présence allemande à Lesquin, qui accueille notamment des bombardiers dont les missions les mènent sur Londres et l'Angleterre. Certaines actions de résistance menées par la population locale ne sont pas oubliées non plus, comme le sabotage d'appareils par ajout de sucre dans les réservoirs. La physionomie insufflée au site par les Allemands se révèle impressionnante, et elle est bien détaillée par Pierre-Antoine Courouble, au moyen de photos aériennes notamment : de nombreux "dipersals", des hangars et cantonnements camouflés en fausses fermes, des piscines en dur creusées pour la détente des soldats allemands, d'imposantes et nombreuses batteries anti-aériennes... et surtout, deux grandes pistes bétonnées! Fait peu commun, Lesquin sert entre autres comme centre de retraitement des épaves aériennes : le métal est alors alors très recherché, et les Allemands sont déjà des pionniers du recyclage!

Une fois le secteur libéré par les Américains et les Britanniques, le terrain de Lesquin accueille une noria d'unités alliées qui s'y succèdent pour quelques jours ou quelques semaines à partir de septembre 1944 : Polonais, Français Libres des FAFL, puis à nouveau la RAF et notamment sa chasse de nuit... Comme à chaque fois en de telles situations, l'aérodrome a été saboté par les Allemands avant leur évacuation. Ainsi les pistes sont dynamitées pour être rendues impraticables et il faut tout remettre en état...

On l'aura compris, c'est la Seconde Guerre mondiale qui occupe la majeure partie de cet opus consacré à l'histoire de Lille-Lesquin. A la fin du conflit, le développement de l'aviation civile, qui avait été stoppé net par les combats, reprend logiquement son cours, tordant de fait le cou aux rivalités d'avant-guerre quant au choix de l'emplacement où construire l'aéroport. Les Allemands ont tranché, c'est donc Lesquin! Activité aérienne de loisir et liaisons aériennes reprennent donc depuis Lesquin. Pourtant l'armée elle aussi s'intéresse à nouveau à cette ancienne base aérienne!

C'est d'abord l'armée de l'air qui réinvestit le terrain en 1951, en y implantant un Centre d'Entraînement des Réserves Ordinaires. La France est alors engagée dans le conflit indochinois, et les pilotes réservistes sont des soldats dont on peut avoir besoin sans délai, il faut donc maintenir leurs compétences. L'unité vole alors essentiellement sur MS 472 et 475. 

C'est à cette même époque, de 1953 à 1955, que le terrain est adapté aux standards OTAN pour servir de base opérationnelle de dispersion (DOB) : l'ancienne piste allemande Est-Ouest est prolongée et doublée d'un taxiway parallèle. Trois marguerites fleurissent : deux au Sud de la piste, et la troisième au Nord-Est (celle-ci a aujourd'hui totalement disparu sous les parkings A et B de l'aéroport actuel). Leurs seize alvéoles sont conçues pour accueillir jusqu'à deux chasseurs chacune (et non un seul comme évoqué). Une ancienne soute à carburant allemande est même réutilisée pour ce nouvel aérodrome répondant aux critères de l'Alliance Atlantique. Comme sur de nombreuses DOB's, les rares constructions en dur se limitent à quelques baraques Fillod.

La base aérienne OTAN de Lille-Lesquin en 1957.
Photo IGN.

Malheureusement, cet épisode semble presque anecdotique tant l'importance qui lui est consacrée est faible : cinq pages seulement et quelques photos, dont une belle vue aérienne oblique. Quelques pages plus tôt, deux vues d'alignements de Vampire et de Mystère 4 (sans doute pas placées dans le bon chapitre) font également référence à cette période. Evidemment, comme pour l'histoire des autres bases de dispersion OTAN, il est difficile de retrouver des archives datant des années 50-60 où ces terrains, quoiqu'imposants, ont finalement peu servi. Mais il aurait été intéressant d'en découvrir un peu plus sur le plan de l'utilisation de l'aérodrome prévue en temps de guerre, et notamment à quelle base principale il était rattaché (sans doute Epinoy, dont sont sans doute originaires les Mystère IV entrevus en photo, mais rien n'est moins sûr comme on va l'évoquer plus loin). Les journaux de marches et d'opérations (JMO) des escadrons de la 12e Escadre de Chasse de Cambrai-Epinoy comportent peut-êtres des photos et indications détaillant des manoeuvres et déploiements effectués à Lesquin, comme ça a pu être le cas aussi à Cambrai-Niergnies... Il est toutefois intéressant de voir que la mise aux normes OTAN s'est faite alors que l'armée de l'air occupait déjà le terrain. Celle-ci ne semble d'ailleurs pas l'avoir quitté durant toute la durée des travaux. C'est à notre connaissance inédit dans l'histoire des aérodromes OTAN. Quel a été l'impact de ces travaux sur l'activité de l'unité de réserve, devenue entre temps ERALA 1/37? Là encore, le JMO de l'unité comportait peut-être quelques réponses. Quoi qu'il en soit, il apparaît logique, dans ces conditions, que l'armée de l'air émette le souhait d'une occupation étendue du site de Lesquin ainsi amélioré. Pourtant, l'activité civile étant déjà bien établie, les chambres de commerce des environs pèsent de tout leur poids pour que la base accueille un aéroport commercial moderne, et non une escadre de chasse. 

La chronologie de ces enchaînements d'ambitions et de décisions politiques mériterait d'être étudiée de plus près pour voir si le retrait de l'Armée de l'Air de Lesquin est à l'origine de la création de la Base Aérienne 103 de Cambrai-Epinoy, où s'il était déjà acté à l'époque que le terrain d'Epinoy, et non celui de Lesquin, allait accueillir la 12e Escadre de Chasse de l'armée de l'air... 
D'après Pierre-Antoine Courouble, les Etats-Unis auraient fait savoir en 1958 qu'ils renonçaient à l'utilisation de Lesquin. La mention d'une source aurait été appréciée. Il semblerait donc que dans le plan initial, Lesquin devait servir de DOB pour une unité de l'US Air Force alors basée en France. L'année 1958 correspond également à des réductions budgétaires US ayant mené, entre autres à la fermeture de la base américaine de Chambley (54) - autrement mieux équipée que la DOB de Lesquin. On comprend donc aisément que continuer d'investir dans l'aménagement du terrain de Lesquin n'ait plus eu d'utilité pour l'OTAN : si un renfort aérien devait être mis en place en Europe, d'autres bases pouvaient l'accueillir en priorité.

L'ERALA 1/37 reste donc la seule unité militaire à utiliser le terrain jusqu'au début des années soixante, évoluant à présent sur T-28 Fennec et autres SIPA S111. En 1963, le glas sonne pour les réserves de l'armée de l'air qui sont remplacées sur le terrain par les hélicoptères et les petits avions de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre (ALAT), prolongeant ainsi la présence militaire en parallèle du développement de l'aéroport civil. En 1963, la première aérogare est d'ailleurs inaugurée au son d'une fanfare de l'armée de l'air! Au fil du temps, les infrastructures aéroportuaires se révélant insuffisantes, de nouveaux aménagements sont construits tandis que l'aéroport poursuit son essor, d'un niveau régional à un niveau international. Ainsi deux tours de contrôle se succèdent, et trois aérogares sont également construites successivement. Le 2e Groupement d'Aviation Légère de l'Armée de Terre (2e GALAT) construit, lui aussi, de nouvelles infrastructures en parallèle. Cette unité d'environ 110 hommes changera de nom plusieurs fois durant ses 35 année de présence à Lesquin. Devenue escadrille, rattachée au 6e régiment d'hélicoptères de combat (RHC) de Compiègne, l'unité de l'ALAT quitte son détachement permanent de Lesquin en 1998, laissant toute la place à l'aviation civile et à son développement

Relater un siècle d'histoire dans un unique volume est une véritable gageure, surtout quand l'auteur, logiquement passionné par son sujet, a à coeur d'être exhaustif - voeu légitime tant on souhaite qu'un ouvrage face référence après y avoir consacré des années de recherches. Cette démarche n'est toutefois pas exempte de difficultés. Ainsi, les derniers chapitres du livres se chevauchent un peu et sacrifient à la chronologie, tant il était compliqué de relater l'émergence de l'aviation commerciale en parallèle de "l'otanisation" des infrastructures et de l'installation de l'ALAT. 

Le chapitre consacré à l'aviation commerciale (fret et passager), assez factuel, appelle peu de commentaires : évolution de l'activité depuis les années soixante jusqu'à nos jours, extension des parkings et des aérogares, visite de de Gaulle, de Concorde... Une anecdote toutefois, trahit la conception otanienne de l'aéroport, puisqu'en 1974, un DC8 se trompe de bretelle pour s'empêtrer dans la marguerite Nord où il lui est impossible de manoeuvrer (ce qui explique peut-être sa disparition au profit de grands parkings!). Enfin, il faut attendre 1987 pour voir quand même des avions de chasse américains (F-16 et A-10) à Lesquin,  à l'occasion d'un meeting aérien - un des rares qui s'est déroulé sur l'aéroport.

L'aéroport de Lille-Lesquin de nos jours.
Photo Google Earth.

Il convient de saluer le travail de "fourmi patiente" effectué par l'auteur pour écrire cette longue lettre d'amour de 512 pages à "son" aéroport à l'occasion de son centenaire. Car il s'agit bien là d'amour, un amour bien légitime pour le natif de Lesquin qu'est Pierre-Antoine Courouble. L'auteur nous gratifie d'ailleurs d'une heureuse initiative : celle de mettre en place un site internet en complément de son livre, pour y ajouter certaines informations ou photos, y corriger certaines erreurs ou imprécisions et bien sur, commander le livre. 

Rendez-vous donc sans tarder sur www.lille-lesquin.net pour compléter l'expérience!

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Lille Lesquin d'Hier à aujourd'hui
de Pierre-Antoine Courouble

Préface de Bruno Bonduelle
Avant-propos de Myrone Cuich
Postface de Daniel Percheron
Editions Samerlin / Association Anciens Aérodromes
ISBN 978-2-9551013-0-8
28 euros.




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