S’il est un domaine de l’aviation
militaire méconnu, car relativement peu traité dans la littérature
aéronautique, c’est bien celui de la chasse tout-temps. L’obscur travail des
équipages (pilotes & navigateurs) volant dans le brouillard, le nez dans leur tableau de bord,
et agissant au gré de scopes lumineux un brin mystiques, est sans
doute moins propice à perpétuer l’image d’Epinal du pilote de chasse que les
héroïques récits de combats aériens tournoyants ayant fait le succès du Grand Cirque de Closterman ou, plus récemment, de Top Gun.
Il aura donc
fallu une réelle volonté de témoigner et de transmettre de la part des auteurs (tous trois d'anciens navigants des escadrons tout-temps) pour mener à bien le projet éditorial ayant abouti, voici quelques mois, à la
publication de Night Fighters. Le
soutien de l’All-Weather Fighter (AWF) Association n’a sans doute pas été
inutile non plus tant pour rassembler la matière nécessaire à cet ouvrage que pour finaliser la démarche
éditoriale et constituer un vivier de lecteurs garanti pour cet opus.
« Night
Fighters » est un terme apparu durant la Seconde Guerre mondiale, et par
lequel on désignait alors ces unités et leurs combattants au travail si
spécifique : voler de nuit ou par mauvais temps pour aller frapper en
étant ainsi moins vulnérable, ou intercepter sans être vu. D’où une certaine
injustice dans le peu d’égards réservé à ces aviateurs spécialisés : avec des ennemis moins visibles et
moins vulnérable, ne faut il pas en effet un niveau de maîtrise supérieur pour
intercepter et détruire un intrus profitant de la nuit ou d’une météo exécrable
pour mener sa besogne ? En effet, les spécificités de la
chasse tout temps, si elles peuvent d’abord décourager le lecteur néophyte, se révèlent
tout à fait intéressantes et méritent bien qu’on rende hommage à leurs praticiens.
Dans le courant des années cinquante, le terme « night fighters » tombe en désuétude remplacé
par celui d’« all-weather fighters » (chasse tout-temps), jugé plus
valorisant car dénotant la polyvalence des équipages. A cette même époque, dans un climat de guerre froide, le Canada met en place treize escadrons de chasse tout temps équipés de CF-100 Canuck pour prendre le relais de ses intercepteurs diurnes Sabre à la nuit tombée et par mauvais temps. Pour faire face à de potentielles attaques soviétiques, neuf de ces unités seront alors versées au NORAD, les quatre restantes étant affectées à l'OTAN et déployées en Europe. C'est ainsi qu'à partir de novembre 1956, les bases canadiennes de Marville, Grostenquin, Zweibrücken et Baden recevront chacune un escadron de CF-100 en remplacement d'un des trois escadrons de Sabre initialement installés.
Night Fighters nous fait ainsi monter dans le cockpit, aux côtés des pilotes et des navigateurs pour nous livrer des anecdotes et des souvenirs peu communs et pas franchement traités dans les historiques d'unités ou les livres rétrospectifs de l'aviation canadienne. On découvre ainsi que le CF-100 était un avion qu'il fallait apprendre à dompter. Pour autant, les pilotes, même aguerris au Canuck, pouvaient être confrontés à une éjection non désirée ou au départ intempestif des 58 rockets emportées dans les pods fixés en bouts d'ailes! Le chauffage à bord fonctionnait mal et le givrage dans le cockpit était fréquent, les bottes des pilotes étaient d'ailleurs parfois gelées au plancher de l'appareil! Paradoxal pour un avion conçu pour évoluer dans le grand Nord canadien!
Il ne s'agit pourtant pas à proprement parler d'un ouvrage didactique, et le lecteur curieux de connaître l'histoire des escadrons tout-temps au sein de la RCAF fera mieux de commencer par des ouvrages plus généraux pour ensuite approfondir avec cet opus. En effet, Night fighters, tant dans sa forme que dans son fond, s'adresse à des lecteurs connaissant déjà un minimum les avions, les bases et les missions des escadrons tout-temps. Aussi, cet ouvrage viendra avantageusement compléter des livres comme Canucks unlimited, de Bob Baglow, ou The Avro CF-100, de Larry Milberry. Le texte est une compilation de souvenirs et d'anecdotes rédigés par une foule d'anciens pilotes. Malgré un gros travail de relecture et d'harmonisation de la part des trois auteurs du livre, force est de constater que le fil conducteur n'est pas toujours très apparent, d'autant que le texte n'évite pas certaines redites ou digressions. A l'inverse, on regrette parfois que certaines informations n'apparaissent pas, comme la base ou l'escadron servant de théâtre à tel ou tel récit.
L’iconographie est quant à elle assez maigre et exclusivement en noir et
blanc. Même l’illustration quadrichromique de couverture, qui aurait pu mettre en avant une belle photo d'époque, n'accueille qu'un dessin un peu décevant où, si l’on reconnaît
bien un CF-101 Voodoo (qui remplaça le CF-100 à compter de 1961 dans les missions tout-temps) on distingue l’arrière d’un bombardier Vulcan pour figurer
le Canuck. Ces appareils sont, certes, tous deux sortis des usines Avro, mais représenter un bombardier à la place d'un intercepteur sur la couverture du livre est tout de même assez regrettable! Toujours est-il qu'un cahier central de photos couleurs aurait apporté un "plus" certain à cet ouvrage dont l'iconographie est un peu le talon d'Achille.
Pour conclure, gardons à l'esprit que Night Fighters compile des histoires inédites de premier plan, de la main même de leurs acteurs, qui reviennent sur une époque (la guerre froide) encore peu traitée dans l'histoire de l'aviation, sur un sujet (la chasse tout-temps) qui l'est tout aussi peu! Du milieu des années cinquante au début des années quatre-vingt, du CF-100 Canuck au CF-101 Voodoo, Night Fighters nous plonge dans l'univers des défenseurs du grand Nord canadien et de l'Europe occidentale en leur rendant un réel hommage, et notamment à ceux qui ont laissé leur vie dans l'exercice de leur fonction.
Qu'ils en soient tous remerciés!
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Night Fighters
Stories from the flyers of Canada's all-weather fighter force
Canada and Europe, 1953 to 1984
Compilé et édité par John Eggenberger, Bob Merrick et Doug Munro
24.95 $