L'accomplissement d'un projet né il y a 10 ans : voilà ce que constitue cet ouvrage auto-publié par Daniel Corroy, ancien mécanicien équipement sur F-100 Super Sabre au sein de la 3e Escadre de Chasse en RFA pendant la guerre froide...
La démarche est atypique et semble plutôt rare : qu'un ancien mécanicien prenne la plume pour transmettre au lecteur l'amour (c'est bien de ça qu'il s'agit) qu'il voue à son avion est une démarche à laquelle on n'est pas souvent confronté. Le "syndrome de St-Ex"* pousse généralement davantage des pilotes, avec plus ou moins de succès, à coucher sur le papier leurs souvenirs de vols et les sentiments et impressions qui les habitaient là haut, dans les cieux, au cours de missions mémorables...
Mais qu'un "rampant", un "graisseux" écrive un livre sur ses souvenirs d'opérations peut étonner : quelles anecdotes palpitantes peut-il bien espérer transmettre au lecteur sans le faire "décoller"?
* Pas sûr que ce syndrome existe réellement ni que, dans l'affirmative, tel soit en effet son nom, mais nous avons trouvé l'image parlante.
Cette question bête (et volontairement provocante), Daniel Corroy ne se l'est heureusement pas posée, poussé et encouragé qu'il a été dans son projet de rétrospective par ses anciens collègues pilotes et mécaniciens de la "3". Car c'est bien un ouvrage qui fera date qu'il nous propose aujourd'hui, et il eût été dommage qu'une appréhension infondée inhibât sa démarche mémorielle et passionnelle visant à transmettre ce qu'a été cette période historique, de 1959 à 1966 à la "3". D'autant plus que l'auteur a su s'entourer et que son ouvrage regorge de témoignages d'anciens de son unité, dont des pilotes, et est très largement illustré. Saluons d'ailleurs les photos de Régis Merveille, ancien pilote dont le patronyme correspond tout à fait aux clichés qu'il a fournis pour l'illustration de cet ouvrage. Ses superbes photos, notamment en couleurs, dont beaucoup ont été prises en vol, ont déjà illustré plusieurs articles et ouvrages consacrés au F-100 ou à l'EC 1/3 Navarre, mais c'est toujours avec plaisir qu'on les redécouvre, surtout ainsi compilées et mises en valeur dans un aussi bel ouvrage que celui que signe Daniel Corroy.
Mais, avant d'aller plus loin dans le commentaire du livre, re-situons le contexte : de la fin des années cinquante au milieu des années soixante, en pleine guerre froide, la France contribue à l'alerte nucléaire face au bloc soviétique dans le cadre de l'OTAN au moyen de deux escadres de chasse : la 3e et la 11e EC. A cette époque, l'indépendance atomique tricolore n'est pas encore acquise, et les moyens d'assurer cette permanence (bombes + avions) sont fournis par les Etats-Unis, comme c'est le cas pour d'autres pays (Belgique, Canada, Pays-Bas...). Dans ce contexte, la France est toutefois un des rares pays utilisateurs du chasseur-bombardier F-100 Super Sabre, mis à disposition dans le cadre du Mutual Defence Assistance Program (MDAP) envers certains pays alliés. (Le club des pays utilisateurs de F-100 est assez restreint, puisqu'outre les Etats-Unis, il ne compte que la France, le Danemark, la Turquie et Taïwan).
Parallèlement, implantée en France sur les bases aériennes de Chaumont, Etain et Toul, l'US Air Force y entretient également trois escadres de chasseurs-bombardiers F-100 Super Sabre, elles-aussi en charge du strike nucléaire au delà du rideau de fer.
Devenu Président de la République en 1959, Charles de Gaulle souhaite accélérer le développement entamé sous la IVe République d'une force de frappe nucléaire franco-française. Désireux de redonner à la France un certain libre-arbitre et une liberté de mouvement vis-à-vis de l'alliance Atlantique, il commence par demander que les armes atomiques américaines et leurs vecteurs soient placés par les Américains sous un système de double clé dont la France aurait également la responsabilité. En cas de refus des Américains, de Gaulle souhaite que les armements nucléaires américains et les avions chargés de les mettre en oeuvre quittent le territoire français. Bien sûr, Washington refuse de confier le double des clés à Paris et déménage ses trois escadres de F-100 vers l'Allemagne et et la Grande-Bretagne. C'est l'opération Red Richard, qui intervient entre l'été 1959 et le début de l'année 1960.
Paradoxalement, mais dans le droit fil de la logique gaullienne, ces dispositions concernent donc également la 3e EC de Reims et la 11 EC de Luxeuil, elles-aussi dotées d'armes nucléaires américaines dans le cadre de leur mission (bombes gardées par des contingents de militaires américains au sein des bases françaises). Ces deux escadres sont donc également contraintes de déménager hors de l'Hexagone, le temps pour la France d'achever son programme d'armement nucléaire aéroporté par le biais des escadrons de Mirage IV.
Ce sont donc respectivement les bases de Lahr et Bremgarten qui accueillent les 3e et 11e escadres de chasse. Situées en RFA, dans la vallée du Rhin, à une encablure du territoire français, mais sur la rive droite du fleuve frontière, ces deux bases deviennent le théâtre d'une parenthèse méconnue qui s'ouvre alors dans l'histoire de la permanence nucléaire au sein de l'armée de l'air. Daniel Corroy détaille notamment dans son ouvrage les spécificités de la mission strike en termes de disponibilité des avions et donc de contraintes mécaniques, différentes de celles des autres unités où il a servi. L'examen de ces contraintes a d'ailleurs permis, à l'usage, de paver la route des futures Forces Aériennes Stratégiques (FAS). Dommage que l'auteur ne détaille pas plus les relations entre les armuriers français et les Américains en charge de la garde de l'arsenal atomique, et notamment le déroulement des entraînements d'alerte nucléaire. Sans doute n'y a t-il lui-même pas été trop confronté de par sa spécialité, et le sceau du secret pèse peut-être encore de nos jours... Un intéressant témoignage d'un armurier habilité nucléaire à l'époque, Paul Crépin, apporte toutefois d'intéressantes informations sur cette partie du travail propre à l'escadre.
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F-100D de l'EC 1/3 Navarre. Profil : Stéphane Lhernault Cette image n'est pas tirée du livre. |
Saluons l'initiative de Daniel Corroy, qui aurait très bien pu se contenter de couler une paisible retraite mais qui au lieu de celà, s'est lancé dans une quête de témoignages et de documents qui lui aura finalement pris quatre ans pour aboutir à ce très beau résultat.
L'ouvrage est intelligemment construit et s'articule en une trentaine de chapitres thématiques, allant de six à douze pages chacun et présentant un aspect spécifique de l'unité, une anecdote, un témoignage ou un temps fort : l'historique de la "3", les campagnes de tirs à Solenzara, la base de Lahr et sa garnison d'expatriés où règnent solidarité, entraide et solides amitiés, le concours Aircent de 1963...
Signalons la démarche de l'auteur qui, dans un souci de pédagogie, situe chaque chapitre dans son contexte historique ou géographique et détaille les causes mécaniques pour chaque accident ou crash évoqué, photos des systèmes incriminés à l'appui. De même les témoignages de pilotes inclus aux chapitres trouvent à chaque fois, en écho, le point de vue de "la mécanique", ce qui en fait presque un livre chorale où l'on sent que c'est le point de vue de l'unité, et non celui d'un seul de ses membres qui est consigné et transmis dans cet ouvrage. C'est pourquoi il est fort probable que ce livre plaise également aux jeunes mécaniciens avions actuels, tant leur rôle est reconnu à leur juste valeur et tant le propos et l'analyse des incidents et accidents relatés peuvent s'avérer intéressants voire formateurs. La mécanique et les avions ont changé, l'approche du problème technique et l'esprit de déduction reste le même aujourd'hui.
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Sommaire de l'ouvrage. Cliquez pour agrandir. |
A quelques rares occasions, l'auteur se réserve le privilège d'une digression, sortant du cadre de la 3e EC au temps du F-100, pour évoquer la carrière d'Edmond Marin la Meslée, la catastrophe d'Albacete en 2015 ou encore le crash du capitaine Allard... autant d'occasions lui permettant de témoigner d'un esprit de corps toujours palpable aujourd'hui, le lien étant celui de l'appartenance à une unité, la 3e EC, au travers de ses différentes époques.
Au centre du livre a été déportée une série d'annexes, habilement sortie des chapitres auxquelles elles se rapportent pour ne pas alourdir le propos avec des photos et des informations s'adressant à une minorité de lecteurs : anciens de l'Escadre qui se retrouveront avec plaisir sur des photos de repas d'unité ou de prises d'armes, photos de villégiature corse lors d'une campagne de tirs à Zara...
L'ensemble de l'ouvrage est ainsi très agréable à lire et à feuilleter, l'auteur excluant une narration académique pour se faire complice du lecteur et ainsi transmettre avec un certain humour ses souvenirs, anecdotes voire confidences.
Pour finir, Daniel Corroy élargit un peu son traitement du sujet en consacrant quelques chapitres à ses souvenirs autres opérationnels à Bremgarten au temps de l'Ouragan puis du F-84F, à Chaumont, ville dont il est originaire et où il redécouvre la base aérienne américaine de l'intérieur avec un plaisir manifeste, lors des rencontres Aircent auxquelles il prend part avec la "3"...
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4e de couverture. Cliquez pour agrandir. |
Pour résumer, on peut dire que ce livre est une pièce de choix pour quiconque s'intéresse aux relations entre l'armée de l'air et l'OTAN, notamment avant l'obtention de la puissance atomique par la France. Ce sujet trop peu traité trouve enfin une visibilité méritée à travers ces pages. Il en va de même pour l'engagement des militaires français de l'armée de l'air expatriés en RFA en pleine guerre froide pour garantir cette mission au sein d'une alliance militaire à laquelle ils sentaient sans doute déjà qu'ils n'appartiendraient plus très longtemps, du moins dans les mêmes conditions. Une époque très particulière donc, mise en valeur avec tendresse par Daniel Corroy.
Il serait intéressant que l'initiative de l'auteur trouve un écho au sein de la très organisée amicale des
Anciens de la 11e Escadre de Chasse, qui pourrait se lancer dans la réalisation d'un livre équivalent vu de la "11". Cette escadre a certes volé bien plus longtemps que la "3" sur
Super Sabre et plus seulement dans une rôle de strike nucléaire. Mais disposer d'un ouvrage de référence équivalent pour la période allemande de la 11e EC, sur la base de Bremgarten, serait une vraie chance. L'appel est lancé...
Bien qu'il ait fort à propos sollicité la société de prestations graphiques Baobab, qui a réalisé une très belle mise en page et assuré la fabrication de l'ouvrage, l'auteur assure seul la distribution de son livre qui n'est donc pas diffusé dans le commerce, ni dans les réseaux grands publics, ni auprès des filières spécialisées.
Le seul moyen pour vous le procurer est donc de le commander directement auprès de lui. Pour ce faire, vous trouverez ci-dessous un bon de commande, ainsi que ses coordonnées.
Seul le paiement distant par chèque est accepté (pas de paiement électronique).
La 3e Escadre de Chasse et le F-100D/F Super Sabre
21,6 x 30,3 cm. 354 pages. Couverture rigide.
Plusieurs centaines de photos en couleurs et noir et blanc.
54 euros franco de port.
Bon de commande ci dessous (à imprimer, à compléter et à retourner à l'auteur accompagné de votre règlement par chèque)