Etant dans l'impossibilité - momentanée - de mettre à jour les pages de mon site, c'est sur le blog, habituellement réservé à la partie "actu" que je poste pour le moment les recensions de mes dernières lectures, qui ne sont pas forcément des parutions récentes. Ces recensions prendront tout naturellement place dans les bibliographies ad hoc de mon site dès que possible.
Voici donc ci-dessous la recension de l'excellent Pilote de reco, de Philippe Jarry :
Pilote de reco
Le temps des commandements
Avec cet opus, Philippe Jarry signe le second volet de la biographie aéronautique et militaire de son père, Pierre Jarry, après Des images sous les ailes. Pour autant, il n'est pas nécessaire d'avoir lu ce premier volume pour apprécier la suite à sa juste valeur. La deuxième partie de la carrière de cet officier de l’Armée de l’Air coïncide en effet avec la pleine période d’engagement de la France dans l’OTAN, mais aussi avec son retrait et ses conséquences. Sa lecture en est donc très intéressante, à bien des égards.
Le récit de Philippe Jarry, en plus d’être agréable à lire au niveau de la forme, l’est autant au niveau du fond : un réel travail d’historien accompagne l’exploitation des carnets de vol et de la correspondance de son père qui donnent la trame à l’ensemble. Et comme l’auteur est lui même un professionnel de l’aéronautique, les références aux appareils, à leur performances, à leurs concurrents dans le contexte historique et industriel évoqué, sont pertinentes et éclairent d’une lumière aéronautique bienvenue l’enchaînement des affectations de Pierre Jarry. En effet, tout au long de sa carrière d’officier supérieur puis d’officier général, Pierre Jarry n’a jamais rendu le manche, restant très attaché au maintien de ses qualifications opérationnelles malgré, des postes de plus en plus bureaucratiques.
De format 16x24 cm, à couverture souple, ce livre de 400 pages renferme une petite quarantaine d’illustrations en noir et blanc imprimées sur papier couché, compilées hors-texte dans un cahier en fin d’ouvrage. C’est d’ailleurs là un des seuls bémols que l’ont peut émettre au sujet de ce livre, pour des raisons de confort et de linéarité de lecture. De même, les références dans le texte auraient gagné à renvoyer à des notes de bas de page plutôt qu’à une bibliographie et des sources compilées en fin d’ouvrage. Les allers-retours effectués en cours de lecture ne sont pas des plus agréables. Mais ce modus operandi est préféré par les éditeurs en raison du coût moindre de fabrication (maquette et type de papier). Ce détail (habituel pour ce type de publications) mis à part, cet ouvrage est vraiment un must pour qui s’intéresse à la renaissance de l’Armée de l’Air au cours des décennies 50’s, 60’s et 70’s et à son engagement dans l’OTAN.
Pilote de reco s’ouvre sur le retour en France de Pierre Jarry : revenu d’Indochine, il est muté à Cognac début 1954 pour y prendre le commandement de l’ER 1/33 Belfort. L’auteur re-situe bien le contexte de guerres de décolonisation, de guerre froide et, notamment, la différence qui existe à cette époque entre l’armée de l’air déployée en opérations extérieures - évoluant sur avions à hélices - et l’armée de l’air de métropole, dont les escadres ont alors presque toutes été transformées sur jet.
A cette époque, le Belfort vole sur F-84G Thunderjet, puis enchaîne sa transformation sur un "vrai" avion de reconnaissance, conçu à cette fin : le RF-84F Thunderflash.
Le premier chapitre donne d’intéressants détails sur l’emploi de la base de dispersion de Lunéville-Croismare, terrain d’opérations de temps de guerre pour l’ER 1/33. En effet, la « 33 », étant la seule escadre de « reco » versée au 1er Commandement Aérien Tactique* français (1er CATAC), il lui incombe, en cas de guerre avec les pays du pacte de Varsovie, d’effectuer des missions de reconnaissance sur le secteur centre-Europe. Or, l’autonomie des RF-84F et l’absence d’avions ravitailleurs au sein de l’armée de l’air à cette époque (le "RF" est en effet ravitaillable en vol!) ne permettent pas d’assurer ce rôle depuis Cognac. Les terrains d’opérations de Lunéville (pour le 1/33) et de Lahr (RFA; pour le 2/33) jouèrent donc un rôle crucial - en temps de paix - pour l’entraînement des pilotes de reco du 1er CATAC, en accueillant régulièrement ces escadrons à l’occasion de manoeuvres.
Une petite erreur s’est glissée page 41 quand l’auteur cite Michael Collins qui, depuis Châteauroux à cette époque (six mois seulement, avant de rejoindre Chambley) ne volait pas sur F-84 comme indiqué, mais sur F-86F Sabre.
Après Cognac, c’est justement à Lahr-ville qu’est affecté Pierre Jarry, mais cette fois au sein du 1er CATAC, au bureau « Plans-Emploi, Manoeuvres ». Là, il est au premier plan pour participer à l’organisation des grandes manoeuvres de l’OTAN, comme l’exercice Counter Punch en 1957. La BA 139 de Lahr-Hugsweier toute proche, qui héberge encore la 9e Escadre de Chasse à cette époque, lui permet de continuer à voler sur F-84G d’abord, puis après le départ de l’escadre vers Metz, sur les T-33 du CEVSV pour maintenir ses qualifications opérationnelles.
Fin 1957, il est de retour à la tête de la 33e escadre de Reconnaissance qui a entre temps déménagé de Cognac à Lahr. A cette époque, la France traverse une crise du pétrole suite à l’affaire de Suez (rationnement en carburant pour les Français, mais répercutions également dans les armées et donc les escadres). Les exercices interalliés Royal Flush rythment alors la vie de l’escadre (notamment du 1/33), et les quelques détails distillés dans le texte sur le déroulement de ces exercices trop méconnus ravira les amateurs.
Après une année à la tête de la « 33 », Pierre Jarry intègre l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne dont il sort major à l’été 59 avant d’intégrer le Cours Supérieur Inter-Armées. Il axe naturellement le sujet de sa thèse sur la reconnaissance. Visionnaire, il prône alors la fusion des unités de chasse, reconnaissance et bombardement. Il juge plus pertinent d’équiper un chasseur-bombardier de caméras plutôt que d’envoyer un appareil de reconnaissance, rendu hautement vulnérable, en raid post-strike sur le même objectif. Cette conception assez avant-gardiste pour l’époque sera finalement appliquée durant la décennie suivante au sein des escadrons de Mirage III, et est toujours appliquée aujourd’hui.
Philippe Jarry évoque ensuite de façon très juste l’ambivalence des sentiments qui animent les armées françaises lors du putsch des généraux, d’autant que le très estimé et respecté général Challe (Armée de l’air) fait partie du « quarteron ». Intégré - trop tôt sans doute - au sein du cabinet du Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air (CEMAA), on retrouve ensuite Pierre Jarry sur la base aérienne 116 de Luxeuil dont il prend le commandement à l’automne 1963. Comme pour le putsch d’Alger, l’auteur ne manque pas de rattacher la carrière de son père aux hauts faits militaires et diplomatiques de l’époque. Ainsi, l’épisode du Voodoo américain survolant le site nucléaire de Pierrelatte, le 16 juillet 1965, est rapporté de manière intéressante et amusante, éclairant un peu cette histoire dont plusieurs versions ont pu parfois se confronter par le passé. A ce titre, lorsqu’il évoque cet évènement (p 185), l’auteur fait références aux bases américaines de Châteauroux, Chaumont, Evreux, Phalsbourg qui hébergent - écrit-il - d’importantes unités de combat ou de transport US. Précisons qu’à cette date, ce n’est plus vrai pour Chaumont ni pour Phalsbourg qui sont alors passées sous statut de bases de dispersion (DOB) et qui attendent tranquillement leur fermeture.
Pierre Jarry quitte ensuite la Haute-Saône pour regagner la capitale en septembre 65, et une nouvelle fois l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne - plus en tant que stagiaire, mais en tant que directeur des études cette fois. Continuant dans un cursus administratif et pédagogique, il intègre ensuite le commandement des écoles à Villacoublay en tant qu’Officier Supérieur Adjoint (où il continue de voler, sur Fouga et MS Paris!) avant d’être nommé général, à la tête du 1er CATAC à Metz en 1969. Ce passage sera bref, mais c’est sans doute mieux pour lui : être un « aviateur sous terre » au sein de son PC enterré du fort de Guise n’est pas l’affectation rêvée. Il en profite cependant pour se faire lâcher sur Mirage IIIR dont deux exemplaires sont détachés en permanence à Frescaty pour les généraux de la FATAC (le 1er Catac était alors subordonné à la FATAC commandée depuis Metz par un général de corps d’armée, de même que le 2e CATAC stationné alors à Nancy).
Pierre Jarry effectue un troisième et dernier passage à l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne, en tant que directeur cette fois. Au passage, une erreur s'est glissée page 213 lorsque l'auteur évoque la base d’Evreux qui selon lui est, en 1966 "une des grandes bases du transport de l’Armée de l'Air". Ca ne sera vrai que l'année suivante en 1967, cette base étant alors encore utilisée par l'US Air Force.
Enfin, sa dernière mutation est sans doute la plus lointaine puisqu'elle le mène outre-Atlantique, à Washington, en tant qu'attaché de l'Air à partir de 1972. Ce poste qu'il occupe quatre ans, jusqu'à sa retraite, lui permet de rester dans le "renseignement", même s'il ne s'agit plus cette fois d'effectuer des photos aériennes, mais, bien plus subtilement, de s'informer et d'informer l'ambassadeur via un large réseau d'attachés militaires et de connaissances à tous niveaux, sur les questions stratégiques de politique et de défense.
Bien qu'il s'agisse là d'une partie moins "guerrière" que celle relatée dans le tome 1 de la biographie de Pierre Jarry, ce tome 2 en demeure pourtant très intéressant. Il permet de s'immerger dans le climat de l'Armée de l'Air de l'indépendance Atlantique, sur fond de développement du programme nucléaire français. Très agréable à lire, agrémenté de photos intéressantes, ce livre clôt l'hommage d'un fils à son père, qui fut, de l'avis général, un grand meneur d'hommes et un chef apprécié au sein de l'Armée de l'Air.
* commandement français regroupant les unités de l'Armée de l'Air mises à la disposition de l’OTAN en cas de conflit.
Nouvelles Editions Latines
400 pages
ISBN : 9782723395823
30 euros.